Ciel gris et pluvieux, errance matinale sur les chemins du WorldWideWeb où je découvre dans la chronique de la veille du datajournalisme selon Owni, une œuvre de la jeune artiste Tauba Auerbach : RGB COLORSPACE ATLAS, « un “atlas colorimétrique”, déclinant sur 3 000 pages le spectre RGB (ou RVB pour les francophones). »
Comme le fait remarquer l'équipe des journalistes de données d'Owni :
« le livre ne portant aucune autre indication que les couleurs elles-mêmes, (...) s’avère d’une parfaite inutilité pratique. Les amateurs éclairés pourront donc se contenter de la pure contemplation et feuilleter ce qui s’avère être une véritable œuvre de data-art. »
Je ne puis m'empêcher de songer à ces mots du philosophe chinois Zhuang Zi 庄子 - IVe siècle av. J.-C.- : « Les gens comprennent tous l'utilité de ce qui est utile, mais ils ignorent l'utilité de l'inutile. »
Née en 1981 à San Francisco, Tauba Auerbach vit et travaille à New York et San Francisco. Ses créations délicates et réfléchies déconstruisent les modes de communication classiques de l'information visuelle. Les livres, « livres-sculptures », tiennent une grande place dans son œuvre.
Dans d'autres créations, Tauba Auerbach adopte les codes du langage typographique dans une approche conceptuelle et poétique. Son RGB COLORSPACE ATLAS a été présenté à Oslo par la galerie Standard en 2011. Elle est aussi représentée à New-York par la célèbre galerie de Paula Cooper.
Tauba Auerbach /Tetrachromat 2011
Installation view Bergen Kunsthall, Bergen, Norway SOTA/IV 2011-001
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Nous savons tous que la perception de la couleur n'est possible que par la présence de lumière. Le peintre suisse Johannes Itten, un des premiers professeurs du Bauhaus de Weimar dans les années 20, écrit dans son Art de la Couleur : « Les couleurs sont les idées originelles, les enfants de la lumière et de son contraire, l'ombre, toutes deux incolores à la naissance du monde. [...] La lumière [...] nous révèle par les couleurs l'esprit et l'âme vivante de ce monde. »
Tauba Auerbach /Tetrachromat 2011
Installation view Bergen Kunsthall, Bergen, Norway SOTA/IV 2011-001
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Le spectre RGB de l'œuvre de Tauba Auerbach découle de la synthèse additive, opération consistant à combiner la lumière de plusieurs sources émettrices colorées afin d'obtenir une nouvelle couleur.
Dans ce système -découvert par Thomas Young en 1807- les couleurs primaires sont le rouge, le vert et le bleu, RVB (ou RGB pour les anglophones). L'addition de ces trois lumières colorées donne du blanc et l'absence de couleur donne du noir. C'est ainsi que se définissent les couleurs des écrans des téléviseurs et des ordinateurs.
"Le déjeuner sur l'herbe" Alain Jacquet Diptyque, sérigraphie sur papier, 172,5 x 196 cm, 1964, MAMAC de Nice |
En imprimerie on utilise un autre système. Il s'agit cette fois de synthèse soustractive, opération consistant à combiner l'effet d'absorption de plusieurs couleurs afin d'en obtenir une nouvelle. Là, les couleurs primaires sont le cyan, le jaune et le magenta. On parle de système CMJ (ou CMY pour les anglophones). L'addition de ces trois couleurs donne du noir et l'absence de couleur donne du blanc (si le support est blanc).
Aquarelle de Goethe. 1808. Goethemuseum, Hochstift. |
Les peintres, quand à eux recourent au système RJB. Proche de la synthèse soustractive, il emploie le rouge, le jaune et le bleu comme couleurs primaires.
Johannes Itten (1887-1967) - Dreidimensionales Denken, 1919-1920, Kunstmuseum, Berne |
Comme l'écrit encore Itten dans son Art de la Couleur, « le problème esthétique des couleurs peut se concevoir sous un triple point de vue : sensible et optique (impression de la couleur), psychique (expression de la couleur), et intellectuel et symbolique (construction de la couleur).»
Création du designer Kouichi Okamoto pour le studion Japonais Kyouei Design
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En écrivant ces lignes, une angoisse enfantine me revient en mémoire.
Dans les années 70, Pierre Ceccaldi, professeur de médecine légale et directeur du laboratoire de l'Identité judiciaire à la préfecture de police de Paris avait une maison de campagne qui jouxtait notre jardin. La petite fille que j'étais à l'époque lui rendait souvent visite pendant les longs les week-end d'hiver et tout chez lui me fascinait. Toujours vêtu de noir, il me posait chaque fois les deux mêmes questions : - « pourquoi tes doigts ne sont-ils pas tous de la même longueur, alors que les miens le sont ? » ;
et encore : - « un objet a-t-il une couleur quand tu ne le regardes pas ? »
- « Oui, il en a une ! », affirmais-je spontanément en réponse à la seconde question -trop décontenancée par la première-
Après une pose étudiée, il m'objectait un "non" catégorique et ajoutait :
- « d'ailleurs l'objet n'a pas de couleur non plus quand on le regarde. »
Et je rentrais chez moi songeuse et un peu ébranlée.
Gerhard Richter, 1024 farben [1024 couleurs] (CR 350-3), 1973 - Émail sur toile, 254 X 478 cm Paris, Centre Pompidou, Musée natinal d'art moderne |
Ainsi que l'explique très bien l'écrivain et historien de l'art Adrien Goetz dans La grande galerie des peintures, les 1024 Couleurs de Gerhard Richter -œuvre que l'on peut voir entourée de 149 autres dans la fantastique exposition Panorama au Centre Pompidou jusqu'au 24 septembre- « aplats rectilignes, forment un fragment aléatoire d'un espace infini et extensible de manière logique et mathématique. Cette trame d'échantillons, séries de cellules monochromes qui, en se combinant, pourront donner naissance à l'univers entier, engendre, par un phénomène optique bien connu, à quelques pas de distance, des carrés noirs que l'artiste n'a pas peints, à l'intersection des lignes blanches qui séparent les teintes. Ces carrés noirs n'existent pas, sinon sur la rétine des spectateurs. »
Gerhard Richter, 180 farben [180 couleurs] 1971- Émail sur toile, 200 X 200 cm Philadelphia Museum of Art, Philadelphia, USA |
Dans son ouvrage, Goetz poursuit en citant Richter : « Les peintures abstraites [...] rendent sensibles une réalité que nous ne pouvons ni voir, ni décrire mais dont nous pouvons néanmoins conclure qu'elle existe. Nous attachons des concepts négatifs à cette réalité : l'inconnu, l'insaisissable, l'infini et, durant des milliers d'années, nous l'avons dépeinte sous forme de simulacres tels le ciel, l'enfer, les dieux et les diables. Avec la peinture abstraite nous avons créé un meilleur moyen d'approcher ce qui ne peut jamais être vu ni compris, parce que la peinture abstraite rend le plus directement sensible -c'est-à-dire avec tous les moyens dont l'art dispose- le "rien". »
Attribué à Zhao Chang, actif au début du xie siècle, dynastie Song 宋朝 960-1279, rouleau vertical, 51.2 x 103.8 cm, encre et couleurs sur soie Musée national du Palais à Taïpei, détail. |
"Rien". Se résoudre à admettre que la couleur n’a pas d’existence matérielle dans le mode réel, mais n’est que le fruit d'une interprétation sensorielle, imaginer un monde sans couleurs réelles me demande un effort d'abstraction au-dessus de mes forces.
Je préfère fermer les yeux et imaginer le « [...] bel espace de nature où tout verdoie, rougeoie, poudroie et chatoie en pleine liberté, où toutes choses, diversement colorées suivant leur constitution moléculaire, changées de seconde en seconde par le déplacement de l’ombre et de la lumière, et agitées par le travail intérieur du calorique, se trouvent en perpétuelle vibration[...]. » décrit par Charles Baudelaire dans le chapitre De la couleur de son Salon de 1846 ; ou encore le « jaune asymptotique », forgé par le héros aux « causalités amoureuses[...]bysantines » pour sa colocataire dans le dernier roman d'Amélie Nothomb !
SOURCES /
Owni
Tauba Auerbach
Galerie Standard
Galerie de Paula Cooper
Kouichi Okamoto
Gerhard Richter
Exposition Panorama au Centre Pompidou
Rouleau de Zhao Chang
Charles Baudelaire, Le salon de 1846
Amélie Nothomb, Barbe bleue, pp. 109 et 110
SOURCES /
Owni
Tauba Auerbach
Galerie Standard
Galerie de Paula Cooper
Kouichi Okamoto
Gerhard Richter
Exposition Panorama au Centre Pompidou
Rouleau de Zhao Chang
Charles Baudelaire, Le salon de 1846
Amélie Nothomb, Barbe bleue, pp. 109 et 110
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