29 juillet 2011

Piccolo Kaos

20 juillet 2011
Île-aux-moines, Chapelle du Guerric, basse mer à 16h55, marée de 73/68,
Exposition de Cécile Donato Soupama, 6e jour


À mi marée descendante, l'air est saturé d'humidité, le crachin floute légèrement le paysage.
Je me réchauffe un moment en contemplant l'éruption des Piccolo Kaos.

Et justement le téléphone vibre avec son petit bruit de grillon :
les collectionneurs de l'autre jour ont décidé de faire l'acquisition du polyptyque, ils passeront dans l'après-midi, mon coeur bondit...

Kaos. Pigment/huile/liant sur toile. Série de 4 châssis, 140x90cm © Cécile Donato Soupama
Un couple en tenue bleu marine très chic aurait bien aimé acheter les kaos, lui aussi.
Ils vont, viennent, soupirent :
-"non, décidément, c'était celui-là qui nous plaisait, quel dommage !"


Le ciel s'est éclairci, un rayon de soleil est diffracté par le vitrail de la sacristie, illuminant le vermillon de la bordure de verre, comme un écho joyeux à la symphonie de rouges des Piccolo Kaos qui lui font face.

Un groupe d'enfants en colonie de vacances entrent, rieurs, avec leur accompagnateur, un grand jeune-homme dégingandé, les cheveux longs nattés et retenus par un bandeau d'une couleur indéterminée. Ils doivent remplir les légendes d'une carte de l'île, je fais mon possible pour les aider. Ils parlent tous en même temps, regardent les toiles aussi.
Un petit garçon est très fier de me dire qu'il a reconnu la tête de la statue de la liberté dans le bas du dernier panneau des Piccolo Kaos !

Un quadragénaire très sympathique m'explique qu'il réalise une émission de télévision et cherche des oeuvres pour le décor, je lui donne les coordonnées de Cécile et lui parle de l'exposition qui aura lieu à la rentrée à la galerie Hayasaki à Paris, où il pourrait rencontrer l'artiste. Ses deux petites filles sont particulièrement jolies, surtout l'une d'elle, une petite brune aux grands yeux bleus pâles un peu irréels qui m'avaient déjà frappée en la croisant au marché un matin.

La fin d'après-midi est lumineuse, je m'assieds sur la marche du seuil de la chapelle et tends mon visage vers la caresse du soleil, les yeux fermés : comme c'est bon !

27 juillet 2011

Ulysse

19 juillet 2011
Île-aux-moines, Chapelle du Guerric, basse mer à 16h18, marée de 80/77,
Exposition de Cécile Donato Soupama, 5e jour

Aujourd'hui des visiteurs attendent déjà devant la porte quand j'arrive sur mon vélo, toute essoufflée.
Le vent a tourné à l'Ouest, il s'engouffre dans la chapelle, s'insinue jusqu'à la sacristie, soulevant sur son passage Hadès, Ulysse et Freud.

-"c'est très beau" me dit une dame, les cheveux emmêlés par le vent, avec un doux sourire qui dessine un faisceau de rides sur ses joues, je lui trouve un visage de bonne fée.

Le petit bonhomme de fil de fer perché sur son bateau, là-haut, balance ses jambes dans le vide, imperceptiblement, se tenant toujours sagement d'une main au bastingage, de l'autre au hauban.
Cette oeuvre de Lionel Prin, peintre de l'île-aux-moines -exposé dans la chapelle par les Îliennes du Guerric l'année dernière-, est d'une grande poésie et apporte à ce lieu un supplément d'âme qui émeut les visiteurs.
Ce sont presque toujours les enfants qui le voient en premier et secoue la main qui tient la leur bien serrée :
-"regarde, regarde, non ! là-haut...."
-"tu as vu le bateau, maman ?"

Le hasard de l'accrochage a fait que le personnage sur son bateau regarde Ulysse : comment ne pas penser à l'Ulysse de l'Odyssée d'Homère qui a parcouru en tous sens la méditerranée sur son navire, passant par le royaume d'Éole, faisant même escale sur "l'île du soleil" -la Sicile- où se trouve en ce moment l'auteur de la toile nommée Ulysse, sur le mur blanc devant moi...

Ulysse. 100x100 cm © Cécile Donato Soupama
Un couple de grands parents se réjouit de découvrir le nom de l'oeuvre :
-"c'est la toile que nous avons tout de suite préféré en entrant dans ce lieu et elle porte le même nom que notre petit-fils, quelle jolie coïncidence !"

Je me souviens des récit de ce voyage initiatique du roi d'Ithaque où chaque épreuve nous confronte un peu plus à nous-mêmes.


Dans Ulysse, un bleu-vert qui semble remonter des profondeurs et affleure à la surface de la toile en une petite constellation, me bouleverse particulièrement.

Un homme qui sait dire tout simplement "ça me plait" après avoir regardé longuement chaque toile pendant que son petit garçon gazouillait dans sa poussette verte au centre de la nef, dit encore qu'il reviendra demain avec son épouse.



Un moment de rêverie, assise sur le seuil dans un rayon de soleil alors qu'au loin de gros nuages noirs déversent leur pluie sur le continent, je me souviens d'avoir lu ces mots de Guo Ruoxu -peintre de la dynastie des Song (XIe siècle), auteur du plus important ouvrage de théorie esthétique et d'histoire de la peinture chinoise- :

"La peinture est une empreinte imprimée par le coeur"





26 juillet 2011

Freud

18 juillet 2011
Île-aux-moines, Chapelle du Guerric, basse mer à 15h41, marée de 86/83,
Exposition de Cécile Donato Soupama, 4e jour

Aujourd'hui une belle lumière changeante, alternance de grisaille ouatée et de rais de soleil fulgurants, et puis soudain la pluie !
Les toiles me deviennent familières, je commence à les voir comme des êtres à part entière que je retrouve chaque jour pour quelques heures d'intimité.

Marée basse dans l'anse du Guerric : les mêmes tons terre de sienne, canelle, et gris bleuté que dans Freud.
Un petit garçon couleur chocolat au lait s'est adossé sur le mur blanc, il me sourit timidement.
Le contraste de sa peau sur celle de la chapelle est saisissant de force et de beauté.
Il se hausse sur la pointe des pieds devant Freud :
"regarde madame, il y a une sirène là dans l'eau du tableau !"

Freud. 100x80 cm © Cécile Donato Soupama

Un monsieur en ciré jaune perlé de pluie reste longtemps sur le seuil de la chapelle, tourne, va et vient et s'arrête finalement devant Freud :
"celui-là est un peu à part, il a quelque chose de ..."
La sonnerie de son téléphone portable rompt soudain le charme, il sort rapidement.
Je me demande si, une fois la peinture achevée, l'intention qui l'a motivée s'y trouve incarnée :
Serait-ce là ce "quelque chose" dont parlait l'homme au ciré jaune ?

J'éprouve dans la contemplation de ces oeuvres l'effort et l'émotion du geste de Cécile, d'une façon très concrète, palpable, charnelle. Ses noirs m'émeuvent particulièrement, l'élan de ses noirs et les larmes qu'ils projettent devant eux, comme dans le majestueux diptyque Nero



-"C'est très noir tout de même" dit une dame, l'air contrarié
-"quelle belle profondeur dans ces noirs" dit une autre...

La fin d'après-midi voit le ciel s'éclaircir légèrement, je sors pour contempler la chapelle d'un peu plus loin : changer de point de vue, ... si important pour vivifier le regard !

25 juillet 2011

Sicile

17 juillet 2011
Île-aux-moines, Chapelle du Guerric, basse mer à 15h03, marée de 88/87,
Exposition de Cécile Donato Soupama, 3e jour

Illustration de Cassandre Montoriol


Les deux Siciles flottent un peu dans l'air qui s'engouffre de temps à autre dans la chapelle : le souffle d'Éole serait-il parvenu des îles ioniennes lointaines jusqu'à notre île lovée au coeur du golfe du Morbihan ?



Aujourd'hui, les visiteurs sont attentifs, regardent les toiles avidement. Dans leurs yeux des reflets de fascination bienveillante, d'interrogation aussi, d'étonnement encore, de plaisir surtout, qui viennent déposer une strate supplémentaire de bien être à ma propre contemplation.


Sicile. 100x80cm © Cécile Donato Soupama

Ils s'interrogent souvent sur les mots, les bribes de phrases saisies ici ou là sur les toiles.
Je m'interroge sur les mots, les titres des oeuvres, sur le sens profond de la démarche de nommer.
Un très ancien principe confucéen veut que le nom des choses leur donne la vie ;
Dieu appela la lumière jour, et il appela les ténèbres nuit.
Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le premier jour,

peut-on lire dans la Genèse.
Les noms des oeuvres qui m'accompagnent ici trouvent-ils une "inspiration dans les soubresauts douloureux du monde" ?


Sicile. 100x80cm © Cécile Donato Soupama

Une vieille dame très "smart" est émue par la dentelle de sable que tissent les pigments ocre jaune sur les Siciles, fortement contrastée par les plages de noir denses qui l'environnent.


Piccolo Kaos, Cécile Donato Soupama

Un couple de collectionneurs, discrets, ils arpentent les lieux avec minutie.
Elle s'exclame en découvrant le polyptyque des Piccolo Kaos, lui préfère l'un des Sisyphe.
Ils parlent d'un grand mur libre dans une maison lointaine : je retiens mon souffle !


Sisyphe. 100x80cm © Cécile Donato Soupama

un rayon de soleil se fraie un chemin à travers le vitrail jusqu'à la page de mon carnet, c'est comme une caresse inattendue.



Une famille de "voileux" achète quatre cartes postales : de belles photographies de l'île-aux-moines de Ronan Guillou , le premier artiste à avoir été présenté dans la Chapelle par l'Association Les Îliennes du Guerric.




24 juillet 2011

Un baiser

L'extrême fraîcheur de l'été n'en finit pas de nous faire frissonner,
quoi de mieux qu'un doux baiser pour nous réchauffer le coeur et le corps ?


Détail d'une peinture à fresque de Giotto, début du XIVe siècle, Chapelle des Scrovegni à Padoue

Comme celui que se donnent Joachim et Sainte Anne à la porte dorée, si merveilleusement illustré par Giotto sur les murs de la chapelle des Scrovegni à Padoue au début du XIVe siècle ;



Marbre, Auguste Rodin, 1889, Musée Rodin, Paris

comme celui qu'échange le couple enlacé qu'Auguste Rodin sculpta pour l'exposition universelle de 1889 ;



"Le baiser", huile sur toile de Gustav Klimt, 1907-1908, Österreichische Galerie de Vienne

Comme l'étreinte amoureuse si délicate du "baiser" de la période dorée de Gustav Klimt ;


Le Baiser, 1923,1925, Pierre calcaire brune, 36,5 x 25,5 x 24 cm

ou celle de Constantin Brancusi ;


Encre sur papier, 50 x 65 cm, © Alice Sfintesco 2010

comme le baiser, encore, de la très émouvante série d'encre sur papier d'Alice Sfintesco


Encre sur papier, 50 x 65 cm, © Alice Sfintesco 2010.


Je chante un baiser
je chante un baiser osé
sur mes lèvres déposé (...)

Alain Souchon, Le baiser