07 juillet 2011

Le dào 道 d'Edwin Parker Twombly

Quels mots pour évoquer le grand artiste américain Cy Twombly, qui s'est éteint mardi 5 juillet à Rome ?
Peinture, sculpture, photographie, méditerranée, écriture, évanescence, extrême délicatesse en somme.



Dès l'adolescence, Cy Twombly, né le 15 avril 1928 en Virginie, a été initié à la peinture et à l'art contemporain européen par le peintre espagnol Pierre Daura. Cette imprégnation première n'est peut être pas étrangère à son amour pour la méditerranée -l'Italie en particulier où il se rend dès les années 50- et pour la culture antique.



Comme le souligne Philippe Dagen dans son excellent article -Le Monde du Jeudi 7 juillet 2011, page 25- "la légèreté" des "tissages graphiques et de maculations" de Cy twombly "enchantait Roland Barthes" : il me semble que relire les mots du grand sémiologue est un procédé singulièrement fécond pour mettre en lumière et garder en mémoire la subtilité de l'oeuvre de Cy Twombly.


Untitled, New York 1954, wood, palm leaves, twine, house paint, cloth, nails, and wire, 139 X 60 X 12,4 cm. Collection of the artist. © Cy Twombly

(Roland Barthes dénomme Cy Twombly TW, dans son texte.)

" Parcourir l'oeuvre de TW des yeux et des lèvres, c'est donc sans cesse décevoir ce dont ça a l'air. (...) TW oblige, non à récuser, mais -ce qui est peut être plus subversif- à traverser le stéréotype esthétique ; bref il provoque en nous un travail de langage (n'est-ce pas précisément ce travail -notre travail- qui fait le prix d'une oeuvre?).



"À travers l'oeuvre de TW, les germes d'écriture vont de la plus grande rareté jusqu'à la multiplication folle : c'est comme un prurit graphique. Dans sa tendance, l'écriture devient alors culture."


Untitled 1970, Distemper and chalk on canvas 70,5 X 100 cm. © Cy Twombly

"De l'écriture, TW garde le geste, non le produit. (...) Qu'est-ce qu'un geste ? Quelque chose comme le supplément d'un acte. l'acte est transitif, il veut seulement susciter un objet, un résultat ; le geste, c'est la somme indéterminée et inépuisable des raisons, des pulsions, des paresses qui entourent l'acte d'une atmosphère (au sens astronomique du terme)."


Portrait de Cy Twombly, 1996 © Sankei Shimbum Co., Ltd. Courtesy of Cy Twombly Archive

"C'est en somme une écriture dont il ne resterait que le penchement, la cursivité ; dans le graphisme antique, la cursive est née du besoin (économique) d'écrire vite : lever la plume coûte cher. Ici, c'est tout le contraire : cela tombe, cela pleut finement, cela se couche comme des herbes, cela rature par désoeuvrement, comme s'il s'agissait de rendre visible le temps, le tremblement du temps."


Untitled II 2005 (Bacchus). Acrylic on canvas 317,5 X 468,6 cm © Cy Twombly


"TW semble procéder à la façon de certains peintre chinois, qui doivent réussir le trait, la forme, la figure, du premier coup, sans pouvoir se reprendre, en raison de la fragilité du papier, de la soie : c'est peindre alla prima. TW lui aussi semble tracer ses graphismes alla prima ; (...)"


Cy Twombly 'The Fire that Consumes All before it', Museum of Art, Philadelphia, Pennsylvania

"L'art de TW -c'est là sa moralité- et aussi son extrême singularité historique - ne veut rien saisir ; il se tient, il flotte, il dérive entre le désir -qui subtilement, anime la main- et la politesse, qui lui donne congé ; s'il fallait à cet art quelque référence, on ne pourrait aller la chercher que très loin, hors de la peinture, hors de l'Occident, hors des siècles historiques, à la limite même du sens, et dire avec le Tao Te King (Dàodéjīng 道德经) :

Il produit sans s'approprier,
Il agit sans rien attendre,
Son oeuvre accomplie, il ne s'y attache pas,
et puisqu'il ne s'y attache pas,
son oeuvre restera."

Extraits de Cy Twombly ou "Non multa sed multum" de Roland Barthes, préface du volume VI (1973-1976) du Catalogue raisonné des oeuvres sur papier de Cy Twombly par Yvon Lambert.