14 juillet 2011

Tumultes à L'île-aux-moines



Partir en voyage pour une expérience sensible de quinze jours avec les toiles de Cécile Donato Soupama ;
Confronter les émotions nées de la rencontre de ses oeuvres, du regard de ceux qui viendront les contempler, du lieu unique qui les accueille ;
Saisir les mots, les attitudes, les lumières qui surgiront ;
Je songe à tout cela qui commencera dès demain.



Les "Tumultes" sont annoncés mais ce soir, tout n'est que calme tiédeur et clapotis léger de la marée haute.
Dans la lumière du soir toute d'ocres jaunes, terre de sienne et gris argentés mêlés à tous les verts tendres, émeraude, anglais, l'eau et le ciel se partagent un dégradé de bleus.
Le rouge, lui n'est présent que sur l'affiche de l'exposition sur la porte grise de la chapelle du Guerric.



C'est un rouge qui semble se mouvoir comme l'eau qui se retire sur le sable, un rouge profond et velouté.

07 juillet 2011

Le dào 道 d'Edwin Parker Twombly

Quels mots pour évoquer le grand artiste américain Cy Twombly, qui s'est éteint mardi 5 juillet à Rome ?
Peinture, sculpture, photographie, méditerranée, écriture, évanescence, extrême délicatesse en somme.



Dès l'adolescence, Cy Twombly, né le 15 avril 1928 en Virginie, a été initié à la peinture et à l'art contemporain européen par le peintre espagnol Pierre Daura. Cette imprégnation première n'est peut être pas étrangère à son amour pour la méditerranée -l'Italie en particulier où il se rend dès les années 50- et pour la culture antique.



Comme le souligne Philippe Dagen dans son excellent article -Le Monde du Jeudi 7 juillet 2011, page 25- "la légèreté" des "tissages graphiques et de maculations" de Cy twombly "enchantait Roland Barthes" : il me semble que relire les mots du grand sémiologue est un procédé singulièrement fécond pour mettre en lumière et garder en mémoire la subtilité de l'oeuvre de Cy Twombly.


Untitled, New York 1954, wood, palm leaves, twine, house paint, cloth, nails, and wire, 139 X 60 X 12,4 cm. Collection of the artist. © Cy Twombly

(Roland Barthes dénomme Cy Twombly TW, dans son texte.)

" Parcourir l'oeuvre de TW des yeux et des lèvres, c'est donc sans cesse décevoir ce dont ça a l'air. (...) TW oblige, non à récuser, mais -ce qui est peut être plus subversif- à traverser le stéréotype esthétique ; bref il provoque en nous un travail de langage (n'est-ce pas précisément ce travail -notre travail- qui fait le prix d'une oeuvre?).



"À travers l'oeuvre de TW, les germes d'écriture vont de la plus grande rareté jusqu'à la multiplication folle : c'est comme un prurit graphique. Dans sa tendance, l'écriture devient alors culture."


Untitled 1970, Distemper and chalk on canvas 70,5 X 100 cm. © Cy Twombly

"De l'écriture, TW garde le geste, non le produit. (...) Qu'est-ce qu'un geste ? Quelque chose comme le supplément d'un acte. l'acte est transitif, il veut seulement susciter un objet, un résultat ; le geste, c'est la somme indéterminée et inépuisable des raisons, des pulsions, des paresses qui entourent l'acte d'une atmosphère (au sens astronomique du terme)."


Portrait de Cy Twombly, 1996 © Sankei Shimbum Co., Ltd. Courtesy of Cy Twombly Archive

"C'est en somme une écriture dont il ne resterait que le penchement, la cursivité ; dans le graphisme antique, la cursive est née du besoin (économique) d'écrire vite : lever la plume coûte cher. Ici, c'est tout le contraire : cela tombe, cela pleut finement, cela se couche comme des herbes, cela rature par désoeuvrement, comme s'il s'agissait de rendre visible le temps, le tremblement du temps."


Untitled II 2005 (Bacchus). Acrylic on canvas 317,5 X 468,6 cm © Cy Twombly


"TW semble procéder à la façon de certains peintre chinois, qui doivent réussir le trait, la forme, la figure, du premier coup, sans pouvoir se reprendre, en raison de la fragilité du papier, de la soie : c'est peindre alla prima. TW lui aussi semble tracer ses graphismes alla prima ; (...)"


Cy Twombly 'The Fire that Consumes All before it', Museum of Art, Philadelphia, Pennsylvania

"L'art de TW -c'est là sa moralité- et aussi son extrême singularité historique - ne veut rien saisir ; il se tient, il flotte, il dérive entre le désir -qui subtilement, anime la main- et la politesse, qui lui donne congé ; s'il fallait à cet art quelque référence, on ne pourrait aller la chercher que très loin, hors de la peinture, hors de l'Occident, hors des siècles historiques, à la limite même du sens, et dire avec le Tao Te King (Dàodéjīng 道德经) :

Il produit sans s'approprier,
Il agit sans rien attendre,
Son oeuvre accomplie, il ne s'y attache pas,
et puisqu'il ne s'y attache pas,
son oeuvre restera."

Extraits de Cy Twombly ou "Non multa sed multum" de Roland Barthes, préface du volume VI (1973-1976) du Catalogue raisonné des oeuvres sur papier de Cy Twombly par Yvon Lambert.






30 juin 2011

Déferlantes



À un étudiant qui se demandait pourquoi un chinois pouvait rester si longtemps en contemplation devant l'oeuvre d'un grand calligraphe, mon professeur d'Art d'Extrême Orient expliqua que le spectateur parcourait mentalement chaque trait de pinceau et en retirait un plaisir extrême !
C'est très exactement cette attitude qui m'est venue instinctivement en observant longuement les oeuvres sur papiers d'Istvan Peto présentées à la galerie BBV.
Ces compositions où les mauves, les verts et les orangés sont sublimés par les brisées noires, sont à la confluence des règnes animal et végétal. Elles s'expriment dans un langage ambivalent, invitent nos propres rêves à prendre vie dans leurs formes.


Galerie BBV, 30 rue Michel le Comte dans le 3e, jusqu'au 13 juillet.



29 juin 2011

Autoportrait médiat



"(...) Objets inanimés, avez-vous donc une âme
qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?(...)"

Alphonse de Lamartine, Milly (ou la terre natale)



22 juin 2011

Léviathan sous la nef

"Le seigneur ordonne à un énorme poisson d'avaler Jonas et Jonas demeure dans le ventre du poisson trois jours et trois nuits"
Livre de Jonas, "Livres prophétiques", Bible

La préfiguration de la résurrection du christ, qui apparaît dans cette histoire du prophète Jonas, ressurgit bien des siècles plus tard dans celle de Pinocchio -qui deviendra un vrai petit garçon après avoir rejoint Gepetto dans le ventre de la baleine-, et envahit ma pensée lorsque je pénètre dans cette oeuvre insensée.



Le bruit de la porte à tambour par laquelle on est introduit dans le ventre du monstre est comme celui des pulsations d'un coeur très lent.
Immensité, espace clos où règne une chaleur étouffante.
À droite et à gauche partent deux artères géantes d'où l'on s'attend à voir surgir un flot de sang à tout instant.
Le soleil qui pénètre à travers cette matière opaque répand une lumière rouge, intense et veloutée.



Cette oeuvre d’Anish Kapoor -considéré comme l’un des plus
importants sculpteurs d’aujourd’hui- envahit l'espace sous la verrière du Grand Palais pour l'édition 2011 de Monumenta et stupéfie tant par sa maîtrise de l’échelle monumentale que par la sensualité colorée et l’apparente simplicité qui s'en dégage.



C'est une sensation unique que permet le gigantisme de la forme.
Sorti de l'enveloppe chaude et carminée du ventre de la créature, on déambule autour de l'oeuvre, une colossale aubergine tricéphale qui occupe tout l'espace.



La rondeur des formes de l'oeuvre lui donne un genre féminin, rassurant malgré l'énormité.



La complémentarité des couleurs de la structure de la verrière du Grand Palais et de celle du Léviathan amplifie le plaisir de sa contemplation.
L'alliage éphémère de ces deux éléments dont je me détache à regret, sachant que cette émotion ne pourra se renouveler à l'avenir que dans le souvenir, est aussi une oeuvre à part entière.

17 mai 2011

planter une chaise...

Un voyage au coeur de l'univers des Frères Bouroullec à l'origine d'une chaise végétale et poétique éditée par Vitra


10 mai 2011

Invasion rue de la lune



Rue de la lune, je rencontre un petit spécimen des "space invaders" qui ajoute à la poésie du lieu.

Cela fait quelque temps déjà que ces personnages faits de pixels carrelés m'intriguent au fil de leurs apparitions dans Paris. Le mystère prend une grande part dans le plaisir de leur découverte mais aujourd'hui je chercher à en savoir un peu plus....

Les mosaïques de cet artiste français anonyme -figure majeure du mouvement street art-, mi-vaisseaux, mi-visages, inspirées de jeux vidéo des années 70/80 se sont immiscées peu à peu depuis la toute fin des années 90 dans les interstices de l'espace urbain ou péri-urbain de capitales ou de mégalopoles dans le monde entier.

Bientôt une exposition à voir à La Générale, avenue Parmentier.

L'instant fugace de rupture dans le paysage urbain que l'oeil perçoit avec l'image du "space invader" procure une étrange sensation de bien être joyeux.
C'est une forme d'art contemporain qui s'offre en partage sans rien exiger en échange, avec un humour léger et prégnant à la fois, comme ici à Hongkong ;

photo de MI-5


là à Manchester ;

photo de Erokism


à Kathmandu ;


ou encore à Brooklin !


02 avril 2011

Entre le ciel et la terre


Photographie de Michel DA SILVA

Dans la jolie rue de Poitou, je suis littéralement happée par la quiétude inattendue qui émane de la Galerie Sinitude : des murs blancs pour clore un espace 不大不小 "pas grand, pas petit", comme disent les chinois, juste à la bonne taille en somme ; espace scandé par des piliers de soutènement métalliques couleur terre humide et quelques meubles chinois anciens.


Photographie de Michel DA SILVA

Dans le coin en entrant à droite une chinoise assise devant une table ronde ornée d'une pierre de rêve partiellement cachée par un macintosh m'adresse un signe amical en penchant la tête de côté comme un oiseau. Elle parle dans son téléphone avec une jolie voix musicale.


Photographie de Michel DA SILVA

Je regarde les oeuvres, une par une avec beaucoup d'attention puis lis la biographie de l'artiste : Lau Thow Beng est né en 1954, il a effectué ses études à l'École normale supérieure de Taiwan, au département des Beaux-Arts, réputé en Asie.
À Taipei, comme à Séoul ou à Singapour, son travail a été distingué à plusieurs reprises par des prix importants entre 1978 et 1985. Depuis il a exposé autant en Asie (Japon, Corée) qu'en Occident (Ukraine, Norvège, USA, Espagne, France, Pologne).
Il se consacre tout entier à son art : "Il vit avec ses estampes et rien d'autre, car il s'agit de son âme !", dit le dossier de présentation.


Photographie de Michel DA SILVA

La jeune-femme a reposé son téléphone et s'avance vers moi souriante, silhouette élancée à la démarche souple, ses cheveux longs coupés en dégradé oscillant tels des feuillages de bambous.
Elle m'explique avec beaucoup de gentillesse que les estampes passent au minimum deux fois sous la presse et sont enrichies de retouches apportées par la main de l'artiste au point de rendre ses oeuvres plus proches du tableau peint que de l'estampe, en souligne la qualité étonnante de cohérence et de précision.
Nous parlons de l'ordonnancement qui évoque la calligraphie et des formes symboliques démultipliées ici, les ronds -représentant le ciel-, les carrés -représentant la terre- et le crochet qui les relie.



La chinoise de nouveau appelée par son téléphone, je reprends ma déambulation solitaire et les images se forment dans mon esprit : je songe aux disques Bi -des disques percé d'un trou central- et aux cong -forme à un ou plusieurs étages où un cercle s'inscrit dans un carré- qui matérialiseraient la représentation cosmologique de l'univers dans la Chine ancienne. Celle-ci basée sur l'idée que "le ciel était rond et la terre carrée" était très populaire pendant la période des Printemps & Automnes (770-481 av. J.-C.). Ces merveilleux objets datant du néolithique sont en jade, matière investie de pouvoirs surnaturels, intermédiaire privilégié entre le ciel et la terre.


Disque Bi, jade brun, conservé au Musée national des Arts Asiatiques Guimet


Cong de Liangzhou, jade, conservé au British Museum


Il me semble que Lau Thow Beng, en jouant avec ces symboles, se réapproprie son patrimoine culturel le plus ancien, lui redonne vie dans ses estampes.



À regarder ces formes de plus près, je retrouve l'écho de la structure insaisissable, des couleurs changeantes et de l'aspect veiné du jade. Chacune d'elles, les ronds et les carrés de ces estampes, comme les bi et les cong sont apparement modestes par leur dimension. Elles n'en demeure pas moins intenses, animées d'une tension intérieure qui affleure tout en exaltant la beauté intrinsèque de la gemme.


Disque Bi, jade vert, conservé au Metropolitan Museum of Art

Traditionnellement, en Chine ancienne, cette roche métamorphique qui parait receler les convulsions géologiques de la planète recueille aussi de façon inaltérable l'histoire des hommes.

L'analogie des trois formes -le rond, le carré, le crochet- déclinées par cet artiste avec le jade m'apparait encore renforcée en songeant au caractère Yu 玉 qui désigne le jade en mandarin.
Il est formé de trois barres parallèles et inégales -ciel, homme, terre- reliées par une verticale établissant la communication entre ces différents univers. Dans les écrits les plus anciens, le caractère était 王 et se confondait avec celui désignant le roi, wang -le point a été ajouté par la suite pour éviter la confusion- dont le rôle symbolique était d'être ce lien entre le ciel et la terre.

Qui assume ce rôle désormais ? Peut être que par son art, Lau Thow Beng, participe-t-il de cette mission aujourd'hui ?


Cong, jade clair, conservé au British Museum

"Ainsi, les Esprits légers et subtils sont propriété du Ciel
Et l'ossature corporelle, propriété de la Terre.
Les Esprits légers et subtils repasseront leur porte,
Les ossements retourneront à leur racine.
Mais alors comment "moi" subsisterai-je à jamais."

Huainan zi, chap.7

Dialogue, exposition des oeuvres de Lau Thow Beng à la Galerie Sinitude jusqu'au 23 avril


31 mars 2011

HERMÈS chasse au vol



Défilé Hermès 2011

Il suffit que le talentueux créateur Christophe Lemaire, nouveau directeur artistique de la mode féminine pour Hermès, fasse défiler une chasseresse, faucon au poing, pour que naisse un désir fou d'échapper à la pesanteur animale...


Chasseur caressant son faucon, Iran, Isfahan, début du XVIIe siècle, Encre, gouache et or sur carton, Département des Arts de l'Islam, Musée du Louvre

Les origines de la chasse au vol se perdent dans la nuit des temps. Les premiers témoignages – des stèles et des bas-reliefs datés du IIe millénaire avant notre ère – la donnent originaire des régions riveraines du Tigre et de l'Euphrate.


Portrait of a Boy with a Falcon, Wallerant Vaillant, XVIIe, conservé au Metropolitan Museum of Art

Longtemps, la chasse au vol s'est cantonnée à ces contrées d'Asie, pénétrant peu les pays du bassin méditerranéen. L'Égypte comme la Grèce ou Rome semblent l'avoir sinon ignorée du moins fort peu développée.


Jeune algérienne au faucon, Vernet Horace (1789-1863), Londres, Wallace Collection

La chasse au vol se répand en Extrême-Orient au gré des poussées mongoles.
Importée de Chine au IIIe siècle après J.-C., elle devient une pratique courante au Japon.
Un peu avant la fin du IVe siècle après J.-C., elle est introduite en Europe. Dès lors, l'art du vol se développe pour atteindre son apogée dès les VIIIe et IXe siècles en Orient, plus tardivement au XIIIe siècle en Occident.


Faucon sur une branche de pin, Estampe d'Utamaro Kitagawa (1753-1806),
conservée au Musée National des arts asiatiques Guimet

Il semble que l'oiseau emporte avec lui l'âme du chasseur...


Défilé Hermès 2011

Dans l'art, toute forme entourée d'ailes appartient à une dimension sacrée...


Album de dix feuilles montées sur carton, sous couverture tendue de tissu. -
Dix peintures aux doigts, représentant des faucons et autres oiseaux de proie. Gao Qipei (1672-1734),
conservé au Musée National des arts asiatiques Guimet



Poursuivre ce voyage dans les airs avec le peintre Gao Qipei 高其佩 1672-1734), qui s'est distingué à la cour de l'empereur YongZheng sous la dynastie des Qing 清(1644-1911), au début du XVIIIe siècle en Chine, est une expérience esthétique apaisante.







Ces feuilles d'album, conservées au Musée Guimet ont été peintes aux doigts trempés dans l'encre par Gao Qipei 高其佩, la troisième lune du printemps de l'année xinmao (1711).



L'acquisition de cet album dans les années 1970 a permis d'illustrer dans les collections nationales un courant de peinture à l'encre profondément original.



Gao Qipei 高其佩 en abandonnant délibérément le pinceau pour la peinture au doigt, se libère des contraintes de la technique traditionnelle.



La manière semble simple et l'aisance naturelle à saisir l'essentiel de la posture de l'oiseau.



Achever cette errance dans les nuées, fermer les yeux et revêtir en songe la tenue idéale pour déambuler dans la steppe mongole un matin d'hiver...


Défilé Hermès 2011 , Christophe Lemaire